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LE JOURNAL D'UNE TEAM IMPOSSIBLE

Historie #53 : Terreur nocturne

Écrite par : Kit • Catégorie(s) : Historie • Postée le 07/03/2017 07:50 pm


          La chambre de bonne avait un aspect plutôt vétuste, une atmosphère fantomatique, comme habitée par d’anciens esprits tandis que la mansarde de celle-ci semblait réellement douée d’une vie propre, sans cesse parcourue d’étranges grincements émis probablement par une foule grouillante de rongeurs et d’autres vermines. Des fissures étaient apparentes au-dessus des fenêtres qui retenaient mal la chaleur provenant du poêle avec leur verre trop fin. L’impression générale laissait à penser que la bâtisse avait vécu, que le parquet usé devait avoir été témoin de nombre d’évènements sordides. Une habitation que Brown Jenkin n’aurait pas dédaignée.

          Mais cette nuit, quiconque aurait observé cette vieille chambre n’y aurait vu qu’un frêle jeune homme au visage négligé, mal rasé et aux traits tirés, assis devant sa table sur une chaise bancale. Ni la pluie qui battait les carreaux de la fenêtre, ni les éclairs de l’orage au loin, dont la clameur rageuse se rapprochait imperceptiblement, ne semblaient pouvoir le distraire de l’examen attentif d’une page blanche posée face à lui. Cet homme était écrivain, ou du moins s’en vantait-il auprès de qui l’écoutait après quelques verres au bar d’en face, qu’il honorait avec assiduité de sa présence tous les soirs, excepté le dimanche. De la qualité de sa prose je ne pourrais vous entretenir, il faudrait que vous puissiez le lire afin de vous forger votre propre opinion. Poétaillon de piètre qualité ou journaliste à la plume acérée, qu’importe après tout puisqu’il ne devait vivre que de boulots misérables pour se retrouver à présent dans un lieu si peu accueillant. Mais maintenant que les derniers éclats de la fée verte s’étaient dissipés avec les effluves des paradis artificiels où il tentait d’oublier tous les ratés de sa vie, ne demeurait face à lui que cette terrible feuille qui lui semblait démesurément grande pour ne serait-ce que tenter de la noircir de quelques mots. Il lui fallait malgré tout entamer le dialogue avec elle alors que le doute l’assaillait de toute part. Ses histoires mettaient généralement en scène de jeunes hommes aux vies dépravées, se laissant vivre et regardant le plus souvent celle-ci leur échapper, passant à côté de l’essentiel, menant le plus souvent une existence solitaire.

          Toujours des hommes. Ses récits excluaient dans leur écrasante majorité la gent féminine, la moitié de l’humanité, la moitié des possibles qu’offrait la pensée. Était-il misogyne ou bien se refusait-il à imaginer, à parler d’un vécu qui ne pouvait être le sien, qui ne le serait jamais ? Était-il réellement incapable d’appréhender cet « autre » qui ne lui était pourtant pas si étranger que cela dans son quotidien ? Ne pouvait-il pas faire un effort de compréhension, d’appréhension ? D’un simple commentaire voilà ce phallocrate personnage rendu fort peu sympathique, mais loués soient les dieux puisqu’il n’entretient aucun lien avec l’auteur de ces lignes. À moins que l’on ne parle pas ici réellement de lui ? Voilà que le doute s’immisce et que les premières lézardes se font jour dans cette histoire mais qu’importe, ami nocturne, vous n’êtes après tout pour cet homme reclus devant sa table qu’un public éphémère, aussi impalpable que le courant d’air qui filtre pourtant à travers les fenêtres de cette chambre de bonne. Est-ce réellement pour me lire que vous vous trouvez ici ? Que comprendrez-vous de ce récit, de cette altérité qui s’offre à vos regards trop empressés ? Que retirerez-vous de cette rencontre, de cette confrontation à autrui ? Le jalouserez-vous ? Douterez-vous de vous-même après un pénible examen de vos vies ?

          Quoi qu’il en soit, le jeune homme lui ne pouvait cesser de songer pour l’instant, à la femme qu’il venait de quitter dans l’une des ruelles sombres du quartier des maisons closes un peu plus tôt dans la soirée. Cette demi-mondaine aux courbes généreuses dont il avait cent fois parcouru le corps lui tenait lieu de muse depuis quelque temps déjà. Sa chevelure noir de jais était un délice à ses yeux, écrin en cascade ondulée mettant parfaitement en valeur ses petits seins ronds, qu’ils venaient immanquablement encadrer chaque fois qu’elle se dévêtait. Ils étaient la moulure candide d’une promesse momentanée. Oh et qu’il aimait palper ses seins avec une délicatesse infinie au cours de leurs ébats. La toison de son pubis était quant à elle d’une douceur toute contraire à son apparence, dont il savait parfaitement jouer, où il venait faire courir ses doigts prestement afin qu’elle se cambre délicatement de plaisir. Leurs jeux érotiques étaient source d’une volupté immense, d’un abandon des sens maintes fois répété, invitant continuellement à l’exploration de territoires inconnus où seule la satisfaction des désirs mutuels s’imposait impétueusement à leurs deux êtres.

          Mais pas ce soir. Non, car à présent le doute l’habitait. L’exercice cette nuit n’avait été que mécanique, pâle pantomime sans éclat, déploiement de rouages éculés, répétitions de gestes auxquels il était aguerri depuis fort longtemps. Il devait la faire jouir puisque tels étaient les termes du contrat qui unissait secrètement les deux amants. Et en dépit de la perfide vacance de son esprit qui ne lui avait pas permis de répondre lorsqu’elle lui avait déclaré une nouvelle fois l’aimer, il s’y était employé avec habileté. Du moins le croyait-il. Le présumait-il.

          Car isolé présentement dans les ténèbres de son appartement, devant cette atroce feuille qui restait obstinément blanche, il doutait. Il se remémorait sans cesse la chaleur moite de leur gambade, le contact de son corps où perlait la sueur, cette autre que lui-même, et une question qui l’avait soudainement obsédé. Qui était-elle réellement ? Alors même qu’il s’apprêtait à pénétrer en elle dans un mouvement de va-et-vient animal, pouvait-il sincèrement prétendre qu’il la connaissait et qu’il était en capacité d’apprécier sereinement la force du lien qui les unissait ? Le doute s’était installé et depuis lors il ne pouvait s’empêcher de retourner follement la question dans sa tête. Et s’il surinvestissait la relation qu’il pensait pourtant solidement établie entre eux ? Comment savoir s’il était aimé en retour, avec la même force que celle qu’il déployait dans les sentiments qu’il éprouvait à son encontre ? Qu’était-il pour elle, lui, l’écrivailleur nocturne qui s’évertuait à chacune de leur rencontre à dire maladroitement, en des termes mal choisis tout l’amour qu’il concevait pour elle. Mais y avait-il réellement attachement ou n’était-ce là que de l’accointance, une relation à sens unique, dont son amante ne retirait rien, aux yeux de qui il ne représentait rien si ce n’est un galant soupirant. Un parmi tant d’autres.

          Ne serait-elle donc pas pour toujours une source d’inspiration intarissable, l’origine d’une félicité que son cœur recherchait avidement ? En cet instant, l’idée lui était tout bonnement insupportable, pour cet esprit faible et labile qui s’était raccroché avec tellement d’ardeur à cette femme, avec toute l’énergie du désespoir tant il percevait cette relation comme l’unique trésor de sa vie. Le doute et la croyance déclinante en la valeur de ce lien avec cet autre, qu’il n’était désormais plus certain de pouvoir comprendre, constituait pourtant son ultime consolation, la seule chose à laquelle il pouvait encore s’agripper. Ainsi qu’une feuille blanche qui le resterait sans doute toute la nuit. Fallait-il dès lors renoncer et tout abandonner, avant de disparaître dans le néant de l’anonymat, lorsque plus aucune attache ne vous relie aux autres, à ces personnes tant chéries, si rares au sein de la foule compacte des hommes. Mais loués soient les dieux puisque cet homme n’entretient aucun lien avec l’auteur de ses lignes. À moins que l’on ne parle pas ici réellement de lui ? Le doute est permis mais c’est à vous-même désormais qu’il vous faut poser la question.





par Kit @ 07/03/2017 07:50 pm


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